Partout dans le monde, des activistes de la justice de base élaborent des stratégies pour non seulement défendre, mais aussi approfondir la gouvernance démocratique.
Par Poorvi Chitalkar
À l’heure où j’écris ces lignes, je suis dans l’avion qui me ramène aux États-Unis après avoir passé une semaine à Puerto Princesa, aux Philippines, avec 30 activistes de la justice de base venu·e·s d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. Ces défenseur·euse·s de la justice sont des avocat·e·s, des parajuristes communautaires, des organisateur·rice·s et des chercheur·euse·s de la justice. Ils·elles viennent de différents pays et travaillent sur des questions diverses, mais ils·elles ont un certain nombre de choses en commun. Tout d’abord, ils·elles sont membres du Grassroots Justice Network, la plus grande communauté mondiale de professionnel·le·s qui aident les communautés à connaître, à utiliser et à façonner le droit pour faire avancer la justice. Deuxièmement, ils·elles sont tous engagé·e·s dans l’apprentissage collectif et comparatif afin de répondre aux questions les plus brûlantes auxquelles est confronté le mouvement pour la justice de base. Enfin, ils·elles opèrent dans des contextes politiques marqués par des degrés divers de montée de l’autoritarisme, de recul des démocraties et de restriction des espaces civiques.
Les défenseur·euse·s de la justice de base sont en première ligne des mesures de répression prises à l’encontre de la société civile. Beaucoup sont victimes d’agressions, d’arrestations et de menaces. En 2023, près de 70 % des membres de notre réseau ont déclaré qu’ils·elles avaient du mal à s’impliquer dans un travail d’autonomisation juridique dans les contextes politiques et sociaux de leur pays. Dans la même enquête, près de la moitié des personnes interrogées ont déclaré qu’elles-mêmes, ou les communautés avec lesquelles elles travaillent, avaient été menacées, arrêtées ou harcelées alors qu’elles cherchaient à obtenir justice au cours de l’année précédente.
Les efforts d’autonomisation juridique allient le droit et l’organisation en vue de renforcer le pouvoir des communautés afin qu’elles puissent conduire un changement systémique. Mais un peu partout, le droit est utilisé comme un outil d’oppression. Et le travail d’organisation communautaire est plus difficile lorsque les assemblées publiques sont restreintes, que les activistes sont surveillé·e·s et que les médias sont étroitement contrôlés. À l’heure où les défenseur·euse·s de la justice en base tentent d’accroître le leadership et la participation des communautés dans les espaces de décision, ces dernières sont confrontées à des risques croissants qui les dissuadent de se mobiliser.
Alors que les normes antidémocratiques gagnent du terrain, les professionnel·le·s s’efforcent de trouver l’espace nécessaire pour plaider en faveur de la participation publique, de la responsabilisation et des solutions communautaires aux problèmes de développement. Comme l’explique Catalina Marino, de l’Asociación Civil por la Igualdad y la Justicia, « le contexte politique n’est pas favorable à la justice sociale. Ce n’est pas seulement que nous n’aurons pas de ressources. Nous sommes également confronté·e·s à un discours public qui n’est pas ouvert aux revendications formulées dans un langage fondé sur les droits. Nous ne pourrons convaincre aucun fonctionnaire que les personnes ont le droit de faire quelque chose parce qu’ils ne voient pas la réalité à travers ce prisme. »
Comment allier le pouvoir du droit et l’organisation pour faire avancer la justice sociale et environnementale dans des contextes de fermeture des espaces civiques ? Comment opposer aux narratifs antidémocratiques une vision plus audacieuse et positive d’un monde juste et équitable ? Telles sont les questions pressantes auxquelles les membres de notre réseau tentent de répondre collectivement.
Il semble évident qu’il existe désormais un manuel de répression, c’est-à-dire une similitude frappante entre les techniques de répression utilisées dans les différents contextes régionaux et politiques pour limiter le travail de la société civile. Les membres du réseau ont élaboré un manuel de justice — leur réponse pour contrer la montée de l’autoritarisme et offrir une version plus approfondie de la démocratie, où les institutions publiques rendent des comptes et sont réactives, et où les citoyen·ne·s ont le pouvoir d’influencer les décisions qui affectent leur vie. Vous trouverez ci-dessous quelques-uns des thèmes les plus marquants :
Au sein du Grassroots Justice Network, l’apprentissage a toujours été profondément lié à l’action collective et à la solidarité. En 2021, immédiatement après le coup d’État militaire au Myanmar, des membres de Thaïlande, du Cambodge et d’Afrique du Sud se sont réuni·e·s pour dire à leurs collègues du Myanmar : « Vous n’êtes pas seul·e·s », et ont partagé leurs propres expériences de lutte contre l’autoritarisme pour qu’elles servent d’inspiration. Lors de notre réunion aux Philippines la semaine dernière, les membres ont communiqué les stratégies qu’ils·elles utilisaient pour accroître la participation des communautés à la prise de décision ou pour impliquer les institutions de l’État. Ils·elles ont célébré leurs victoires et réfléchi à des solutions pour relever des défis communs.
Je quitte Puerto Princesa pleine d’espoir. Non seulement ces défenseur·euse·s de la justice de base mettent en œuvre le manuel de la justice dans leur propre contexte, mais ils·elles se présentent également pour partager leurs stratégies les un·e·s avec les autres, en apportant leur soutien aux campagnes et en constituant un réseau d’entraide. Par ailleurs, en résolvant collectivement les questions pressantes auxquelles est confronté l’ensemble du mouvement pour la justice de proximité, ils·elles posent des bases solides pour que la démocratie et la justice puissent prospérer à long terme.
Poorvi Chitalkar est spécialiste des programmes d’apprentissage chez Namati, où elle soutient les professionnel·le·s du Grassroots Justice Network qui cherchent à s’impliquer dans l’apprentissage collectif, à tester leurs méthodes et à créer de nouvelles preuves et connaissances aux frontières du domaine de l’autonomisation juridique. Elle a récemment écrit How Legal Empowerment Efforts are Fighting Repression and Deepening Democracy (Comment les efforts d’autonomisation juridique combattent la répression et renforcent la démocratie) et anime la série de podcasts A Common Pot: Stories and Recipes for Grassroots Justice (Un pot commun : histoires et recettes pour une justice de base).
Cet article a été publié pour la première fois par Open Global Rights. Il a été republié avec l’autorisation d’Open Global Rights. Voir les autres blogs de cette série ici.